HINENI, LE SÉMINAIRE DE LA RELÈVE !

Après deux ans d’interruption, dus à la pandémie, le séminaire NOÉ a fait son grand retour à Lyon, du 10 au 13 novembre, dans un paysage bouleversé… mais non sans espoir de voir se re-lever une jeunesse qui prenne son destin en main !

Ouverture au stade OL avec le lancement de la Tsédaka Jeunesse.
Ouverture au stade OL avec le lancement de la Tsédaka Jeunesse.

Hineni, une intention et une vision

La Covid a détérioré le lien social, achevé de déboussoler une jeunesse en manque d’ancrages et a accentué son inhibition à s’enga- ger dans une société rongée par la fatigue démocratique. Parallèlement, deux spectres anciens sont devenus réalités palpables : l’urgence climatique et la montée en puissance des partis extrémistes, avec leur lot de racisme et d’antisémitisme. La mémoire, elle aussi, subit les effets du temps : les derniers survi- vants disparaissent, place désormais à l’ère des ‘’non-témoins’’ et à la construction d’un nouveau paradigme de la transmission.

Yonathan Arfi en ouverture du séminaire.
Yonathan Arfi en ouverture du séminaire.

Quel avenir, dans ce ‘’climat ‘’, dont les menaces arrivent de toutes parts ? Quelles perspectives pour la jeunesse juive de France, engagée, mais pour celle aussi, invisible ou désaffiliée, qui n’est pas conscientisée et militante ?

À ces questions cruciales et face à ces périls, qui sont autant de défis imminents, le séminaire NOÉ, dans une volonté performative d’un ‘’faire ensemble’’, a répondu « Hinéni ! » (‘’Me voici’’ en hébreu, réponse d’Abraham à l’ange rapportée dans la Paracha Vayera) et a réuni à Lyon du 10 au 13 novembre 180 décideurs associatifs du champ de l’éducation informelle de la communauté juive de France, éducateurs et jeunes militants aguerris, hauts potentiels.

Ce rassemblement très attendu a été rendu possible grâce à la convergence de ses soutiens, dont la Fondation du Judaïsme Français, la Fondation pour la Mémoire de la Shoah -FMS-, le Fonds Myriam, la Fondation Rothschild, Junction (Joint) …

Isabelle Cohen, Pierre Jérôme Biscarat et nos intervenants à la table ronde sur le futur de la mémoire.
Isabelle Cohen, Pierre Jérôme Biscarat et nos intervenants à la table ronde sur le futur de la mémoire.

Ces partenaires partagent le même souci : celui de remobiliser la jeune génération pour envisager une feuille de route audacieuse, celle d’‘’éveiller les aurores’’ , d’agir, de s’émanciper des sché- mas voire de se révolter.

La ville de Lyon, berceau de la Résistance, a été choisie à bien des titres : véritable ‘’hub’’ facilitant la venue des participants des régions, le séminaire a ‘’déparisianisé’’ sa posture en mettant en lumière les hauts lieux de mémoire (La Maison d’Izieu, le Mémorial de Montluc…), le réseau associatif très développé de la capitale rhodanienne, la conscience écologique de sa mairie (le séminaire a d’ailleurs proposé une fresque du climat), et le regain de dynamisme de la délégation FSJU Auvergne-Rhône- Alpes (ARA) qui a ouvert sa première épicerie solidaire.

Brainstorming du ‘‘Jour d’après’’.
Brainstorming du ‘‘Jour d’après’’.

Tout le week-end, responsables de fondations et d’institutions, acteurs de l’Éducation populaire, des mouvements de jeunesse, français et européens, associations étudiantes et de jeunes adultes…, ont pris part à des travaux et réflexions pour que s’en dégage un manifeste collectif, sorte de Livre Blanc guidant un plan d’actions décisif à l’horizon 2030 pour donner les moyens de ses ambitions à une jeunesse militante, dont pour une partie d’entre elle entend se professionnaliser et faire carrière dans le secteur de l’éducation informelle.

Les ‘’5 R’’ : le rugissement de la Jeunesse

Le programme du séminaire concocté par l’équipe NOÉ avec l’expertise de Ruben Honigmann, directeur éditorial d’Akadem, média du FSJU, et le concours à Lyon de Jonas Belaiche, délégué régional FSJU ARA, a proposé des contenus riches et passionnants dans un dialogue revigoré entre délégués de la jeunesse juive et responsables communautaires pour conjurer les scénarios du pire, à l’instar de cette séquence inaugurale de prospective, ouverte par Yonathan Arfi, président du CRIF, au stade de l’Olympique lyonnais : le « Jour d’après ». Séquence qui a non seulement marqué les esprits mais a posé, en 5 ‘’R’’, les ambitions de ce grand rendez-vous.

Le Jour d’après avec l’ensemble des fondations et des institutions.
‘‘R’’ comme « Rassembler »

« Forum ouvert » pour des échanges stimulants de bonnes pratiques, débats d’idées, rencontres entre différents courants et forces vives du judaïsme, sans oublier les discussions jusqu’à des heures tardives dans les temps informels qui font le sel de ces rencontres … le séminaire a produit un « vivre ensemble » inédit ! « Pas moins de 26 organisations de jeunesse de tous horizons ont répondu présentes, des mouvances orthodoxes à la frange libérale. Tous se sont rencontrés dans une soif de mieux se connaître, de battre en brèche leurs préjugés respectifs, et même de coopérer sur des projets innovants… autant dire une fraternité qui opère un tournant décisif dans notre fédération des mouvements de jeunesse ! », déclare, enthousiaste, Philippe Lévy, directeur du département Jeunesse FSJU.

‘‘R’’ comme « Racines »
Master class « Résiste prouve que tu existes! ».
Master class « Résiste prouve que tu existes! ».

À l’heure des radicalités, des ‘’identités offensées’’, mais dans le même temps d’un retour de la troisième génération aux origines apaisées de leurs traditions et mémoire juive, les tables rondes, avec des militants, philosophes, journalistes, dirigeants éducatifs, tels Lela Sadikario de Junction, Dan Arbib, Léa Taïeb du Tenouah Lab, et les master class NOÉ (« Sur nos roots » ou « Résiste, prouve que tu existes ») ont fait le plein de curieux, avides d’expériences et de témoignages sur leurs questionnements autour des héritages familiaux, de la perpétuation ou la revitalisation des traditions.

Myriam Levain et Élisa Azogui, bloggeuses du podcast « Milim », Jonas Pariente, réalisateur de la web-série participative

« Grandma’s Project », Hanna Assouline, activiste et documenta- riste, Tali Trèves-Fitoussi, présidente de l’association moderne-orthodoxe Ayéka, Alain Beit de l’association LGBT juive Beit Haverim, ont démontré, entre autres experts, leur raison d’être et d’agir, en réveillant les consciences. « La master class que j’ai animée pour faire entendre sa voix quand on est femme adepte de l’étude, juif.ve gay, ou résolument attaché.e à l’accueil de la diversité, fut très appréciée, car elle rappelle les 12 tribus d’Israël et l’absolue nécessité de ‘’faire Peuple Juif’’ d’où qu’on vienne ! », témoigne Tamara Settbon de JEM.

Les cercles d’études proposés le vendredi soir par Akiva Zyzek (Talmud Experience), Isabelle Cohen (FMS), ou encore Mike Mendoza (Junction) et Ilanit Corchia (Havaya Israélite) sous forme de havrouta (étude d’un extrait biblique à plusieurs), autour de la paracha Vayera et de l’injonction « Hineni » ont également rappelé le rôle essentiel de la confrontation, toujours féconde, aux textes de la tradition et celui de l’éducateur juif, comme maillon indispensable d’une transmission fondée sur l’originel des textes et la capacité à les actualiser.

‘‘R’’ comme « Résilience »
Small Talks avec Richard Odier
Small Talks avec Richard Odier.

Dans une série de workshops suscitant une belle dynamique de groupe (« small talks » entre dirigeants associatifs et représentants des Fondations philanthropiques, brainstormings et autres « brain dates » à l’anglo-saxonne), les participants, dont une majorité d’édu- cateurs éprouvés par ces deux années de pandémie, ont interrogé leurs pratiques et leur faculté à surmonter les crises à répétition. « Si le terme de ‘’résilience’’ est galvaudé, à telle enseigne qu’on ne sait plus très bien ce qu’il signifie, il a pourtant un sens premier dont la réa- lité s’est révélée pendant le séminaire : la ‘’résilience’’ est ce qui permet de grandir avec ses cicatrices (…) toute l’histoire juive en est pétrie et nos jeunes s’y sont confrontés avec nos experts dans des débats

passionnants, intelligents et sensibles. », ajoute Ruben Honigmann, animateur du « Jour d’Après », directeur éditorial à Akadem.

Crises sociétale et démocratique, montée des extrêmes, antisémitisme, panne de l’engagement dans une société où le bénévolat se heurte aux individualismes, perte de repères identitaires, mal-être étudiant, craintes pour l’avenir dans un contexte de crise énergétique mondiale et d’urgence climatique, de guerre en Ukraine … « Dans cette ère de l’incertitude et contre toute attente, commente Débora Dahan de l’équipe NOÉ, nous avons vu s’exprimer des jeunes gens courageux, résilients, décidés à ne pas baisser les bras et à accomplir dans leur association, ou même en bas de chez eux, des petits pas pour faire bouger les lignes, et incarner la solidarité. ». Au lancement du trentième anniversaire de la Tsédaka, cette assurance de pouvoir compter avec une génération conscientisée par l’aide aux plus démunis a fait l’effet d’un baume auprès des organisateurs du FSJU et signalé un important réservoir de militants.

‘‘R’’ comme « Résistances » ou « Révolte »

LesServicesciviquesduFSJUcitésparlemaire
deLyon,GrégoryDoucet,iciàsescôtésavec leRabbinDahanetR.Odier.
Les Services civiques du FSJU cités par le maire de Lyon, Grégory Doucet, ici à ses côtés avec le Rabbin Dahan et
R. Odier.

Le thème des « résistances » et de la saine « révolte » fut abordé, à la fois sous le prisme du travail de mémoire (visite du Mémorial de Montluc, présence citée par le Maire de la promo des volontaires en service civique FSJU à la commémoration du 11 novembre au Parc de la Tête d’or, table ronde sur le ‘’Futur de la mémoire’’ avec des historiens et des éducateurs à l’Hôtel de Ville) et à travers l’in- terpellation des responsables communautaires d’aujourd’hui par les acteurs de demain. À travers ce « tribunal des générations futures », les leaders ont interpellé leurs aînés en les enjoignant de leur laisser les clés de leur avenir pour les accompagner dans un pacte refondé qui mobilise tour à tour confiance, ressources, expertise, moyens financiers et vision.

Richard Odier, directeur général du FSJU, présent en continu sur ce chabbat plein, insiste : « Pour faire advenir cette relève indispensable, prête à se projeter dans nos institutions et à y travailler, nous devons leur faire la place et cela nécessite une réflexion stratégique, un volontarisme de tous les acteurs communautaires, et une construction d’un nouveau paradigme professionnel que notre institution entend porter pour préparer la communauté de demain. »

‘‘R’’ comme « Renouveau » et « Relève ».

Carlos Tapiero dans sa master class « Sport & Leadership ».
Carlos Tapiero dans sa master class « Sport & Leadership ».

Enfin, riches de tous ces échanges, de tous ces rugissements qui dénotent une énergie sans pareille à se jeter à l’eau pour fendre la mer, exaltés par des masters class aussi éclectiques qu’électriques à l’image de celle du charismatique Carlos Tapiero, directeur adjoint du Maccabi World Union, venu parler avec force enthou- siasme de « Sport & Leadership », les jeunes cadres associatifs ont consenti à se remettre en question.

Daniel Benhaïm de l’Habonim Dror Marseille constate : « On a évité deux écueils dans ce séminaire, ce qui nous fait espérer l’accouchement d’un ‘’renouveau’’ constructif : celui classique des révolutions ratées en faisant table rase du passé, et celui de vouloir ‘’réinventer le monde’’ avec, en réalité de vieilles recettes. On a au contraire su capitaliser sur notre excellence éducative pour aller vers une transformation, évolution, l’adaptation : de nos structures, de nos projets, de nos modes de recrute- ment et fidélisation de nos jeunes militants … ».

La rencontre avec des influenceurs qui innovent dans des médias à impact 2.0 (Gabriel Levy, fondateur du programme court Shofar, Nathanaël Chouraqui, That’s Y, Elie Petit de la Revue K), l’atelier

« Fresque du climat » proposé par Audrey Studer, co-présidente de l’association Hop la transition, autant que les scénarios d’anticipation du « Jour d’Après », ont été décisifs dans la prise de conscience d’un nouveau chapitre à écrire ensemble. ■

Hineni, les jours d’après

Avec Hineni ! les actuels et futurs acteurs du judaïsme français se sont essayés à discerner ce dont notre présent est gros, avec ses menaces et ses promesses, pour bâtir le sillon sur lequel ils chemineront.

Une nouvelle page du programme jeunesse phare du Fonds Social Juif Unifié est à écrire avec eux : « Beaucoup, à l’évaluation du séminaire, sont venus nous dire à quel point ils voulaient s’inscrire dans la prochaine feuille de route du programme NOÉ dont ils ont compris la vocation et la dynamique d’entraînement… Notre première cohorte Hineni est déjà prête ! À nous de transformer l’essai en donnant les moyens à ces militants de s’engager à nos côtés ! » s’exclame Julien Cohen-Solal du département Jeunesse.

Networking, plateforme d’un « faire ensemble », think-tank éducatif, formation aux métiers de l’éducation informelle, professionnalisation, tournant écologique des colos, … les propositions sont légion qui dessinent un agenda plein d’actions, d’espoirs et de promesses.

Il ressort aussi de ce grand rassemblement, qui a réuni « 50 nuances de Juifs », un horizon messianique de la réconciliation des générations, et une préfiguration espérée du Hinéni final de la Torah annoncé par l’ultime maillon de la chaîne prophétique, Malachie : « Voici, je (hinéni) vais envoyer mon mandataire pour qu’il déblaie la route devant moi (Malachie, ch. 3 v.1) et qui se traduit ultimement , – nous sommes dans le dernier chapitre des livres prophétiques par : « Voici Je (Hine ano’hi) enverrai Élie, le prophète…qui ramènera le cœur des pères à leurs enfants, et le cœur des enfants à leurs pères. »

Une profession de foi autant qu’une feuille de route qui animent désormais l’’équipe de l’Action Jeunesse pour écrire le nouveau cha- pitre du programme NOÉ ! ■

Pour aller plus loin et revivre les temps forts du séminaire :

Pdf du programme et synthèses graphiques ici

Émissions spéciales du Lunch by NOÉ sur RCJ ici