Le 2 février se déroulait, au lycée Louis-le-Grand, la remise du Prix Annie et Charles Corrin pour l’enseignement de l’histoire de la Shoah. Cette édition placée sous le Haut patronage du ministre Pap Ndiaye a rappelé l’attachement revigoré de l’Éducation nationale à ce Prix. Ce grand rendez-vous de la mémoire et de la transmission, animé depuis deux ans par l’Action Jeunesse du FSJU, a rassemblé plus de 300 personnes dans le grand amphi du prestigieux lycée parisien.
Les cent élèves des classes lauréates, accompagnés de leurs professeurs, ont côtoyé les fidèles du Prix Corrin, les nombreux enseignants venus de toute la France, ainsi que les représentants de l’Éducation nationale, des institutions œuvrant dans le champ de la mémoire, des droits de l’Homme, des grandes fondations (Fondation du Judaïsme Français, Fondation pour la Mémoire de la Shoah), ainsi que dix volontaires en Service Civique FSJU.
Salle comble pour ce prix donc, qui, pour la seconde année consécutive, recevait un ministre de l’Éducation nationale, en la personne de Pap Ndiaye, introduit par Joël Bianco, proviseur du lycée.
Historien de formation et très mobilisé sur les questions mémorielles, Pap Ndiaye a remis aux deux classes lauréates la récompense, sous forme d’un diplôme encadré et d’une dotation de 1000 euros pour l’établissement.
Dans son discours, il a rappelé que « le Prix Corrin montre l’engagement des élèves des classes et des professeurs sur une question essentielle à [s]es yeux, qui permet d’entrer dans la citoyenneté (…) Ce prix est une manière pour l’Éducation nationale de montrer son engagement sur l’Histoire et la mémoire de la Shoah. »
À la tribune, Ariel Goldmann, président du FSJU, institution qui en assure avec fierté la coordination depuis plus de 30 ans, a évoqué le souvenir de Charles et Annie Corrin (z’l), infatigables passeurs de mémoire, ainsi que du regretté Elie Buzyn (z’l) qui s’est éteint le 23 mai 2022.
Au cours de la soirée, les filles du couple Corrin ont félicité le travail remarquable qu’accomplissent chaque année ces enseignants volontaristes, porteurs de ces projets de classe sur un temps de travail souvent extra-scolaire.
En guise d’interludes, c’est l’ensemble vocal du lycée Jean de la Fontaine, dirigé par Patrick Choukroun, qui a repris le morceau en yiddish “ Oyfn Pripitchik” de Mark Warshawsky, et le « Chant des Marais ».
Les premiers lauréats ont été accueillis sous des applaudissements nourris, puisque c’est une classe de premier degré, à l’époque en CM2, qui fut à l’origine de ce projet. Judith Volcot, professeur d’Histoire Géographie, nouvelle membre du jury, a présenté « la petite histoire menant à la grande Histoire ». C’est en retrouvant par hasard un registre d’appel dans les archives de l’école élémentaire Coligny Cornet à Poitiers que sa directrice Patricia Duchadeuil a proposé à ses élèves de CM2 de travailler autour de trois élèves juifs scolarisés dans l’école qui furent déportés à Auschwitz.
« Nous n’étions pas dans cette école pour rien, on avait à témoigner de quelque chose. Que des enfants soient traqués et massacrés et disparaissent sans pierre tombale est quelque chose de dément » dit-elle encore émue et « si fière de [s]es jeunes ! », rejointe par Aléna, son ancienne élève, aujourd’hui en 5e : « Quand notre enseignante nous a proposé de participer à ce projet et nous a raconté cette histoire, ça a ému tout le monde et nous y sommes allés ! »
Plus d’une douzaine d’écoliers se sont vu remettre, de la main du ministre, le diplôme qu’ils ont brandi tel un trophée, récompense méritée assortie pour chacun de l’adaptation en roman graphique par Richard Malka du livre Idiss de Robert Badinter, dédicacé par ses soins.
La soirée s’est poursuivie par le second lauréat, présenté par Christine Guimonnet, Secrétaire Générale de l’association des professeurs d’Histoire-Géographie, qui a salué le travail interdisciplinaire de l’équipe enseignante des lycées professionnels Charles Péguy, Marcel Dassault, et Léonard de Vinci autour de leur projet ambitieux : « Le camp de Mérignac-Beaudésert : un camp d’internement à Bordeaux », rayé de la carte et dont l’emplacement accueille aujourd’hui une vaste zone industrielle.
Elle a insisté sur « les enseignements généraux [qui] ne représentent qu’une part infime de l’emploi du temps de jeunes en lycée professionnel. » Ainsi, ces élèves futurs techniciens d’usinage, tailleurs de pierre, ou géomètres, ont réalisé, dans le cadre de leur étude, un chef-d’œuvre sous la forme d’une table d’orientation, retraçant les plans et la vie du camp de Mérignac-Beaudésert, qui viendra compléter l’actuelle stèle, seul vestige de ce lieu.
Taieb, jeune lycéen, témoigne « Pour nous, ce projet est important car, en tant que futur technicien, il nous a permis de mettre nos compétences au service d’un projet mémoriel et aussi de rendre hommage aux victimes de la répression».
Pour Thibaud Fleury, professeur référent du projet : « Les élèves ont eu un aperçu de l’histoire de la Shoah en Troisième, mais l’idée pour nous était de ne pas passer par l’histoire globale mais plutôt de leur faire découvrir cette histoire bordelaise, riche et sombre, et par là les engager sur l’histoire de la Shoah française et européenne. Ils ont travaillé ensemble et ont détaillé grâce à des photos chaque élément, tels les barbelés, et on peut dire qu’ils sont entrés dans le camp... ». Les élèves ont montré des maquettes et matériaux au public assurant que tout avait été pensé pour que la table d’orientation soit inaltérable.
C’est des mains de Sylvie Corrin, fille cadette du couple Corrin, que les élèves ont reçu leur prix, très émus d’être reçus dans ce lieu de la méritocratie républicaine.
Debora Dahan, coordinatrice du prix, témoigne : « L’Action Jeunesse a pour vocation de transmettre des valeurs sociales et citoyennes. Le Prix Corrin a pour objectif d’aborder l’histoire de la Shoah, à travers une dimension pédagogique et éducative rigoureuse, un projet collectif sur la thématique de la Shoah qui doit rester vivante, malgré la disparation des derniers témoins ! »
Enfin, ce fut le tour du lycée des métiers Sévigné de Gap pour leur projet « Gap au fil de l’histoire », introduit par Pierre-Jérôme Biscarat, historien et ancien directeur pédagogique de la Maison d’Izieu, de monter sur scène pour recevoir la « Mention spéciale » du Jury.
L’historien commente : « Le fait d’être en contact avec des lieux, des personnes, sur le plan local structurent la conscience de nos élèves, cela est concret.» Ce projet a été accueilli avec enthousiasme par la municipalité de Gap, permettant de mettre en exergue, par le biais d’un roman graphique, les Juifs et les Justes parmi les Nations de la ville.
Les élèves ont même ouvert un dossier de reconnaissance de Juste parmi les Nations d’un des protagonistes, auprès du Comité français pour Yad Vashem, dont le président Pierre-François Veil assistait à la soirée. Lena, Adélina et Chahinaz ont témoigné sur scène : « Nous sommes des adultes en devenir, nous commettons des erreurs de jeunesse mais nous sommes plus forts aujourd’hui avec de vraies valeurs à transmettre dorénavant ! ».
Boris Cyrulnik, président du jury, a conclu la soirée soirée, hymne à la transmission, sous le signe optimiste d’une relève en marche, grâce par un discours profond et visionnaire à l’endroit de la jeune génération.
Il eut des mots plus personnels à l’endroit du lycée professionnel d’Eysines qui a travaillé sur le camp de Mérignac, dans lequel son père séjourna pendant la guerre, avant d’être déporté : « Merci à la Municipalité de Mérignac, merci aux jeunes d’avoir travaillé sur cette stèle parce que pour certains, c’est un cadeau, c’est une reconnaissance, et c’est même une sépulture pour mon père (…) »